Démarche de création

DÉMARCHE ARTISTIQUE
JOHANNIE SÉGUIN

Le souvenir, le passage du temps, l’angoisse de la mort, l’éphémérité de la vie et son ambigüité, ce sont là des aspects tragiques de l’existence qui se manifestent par l’expérience du quotidien et qui guident mon travail de peinture et de dessin, incluant parfois l’action performative, et l’installation. J’aborde ces thèmes par des scènes de genre, des natures mortes et des paysages issus de documents photographiques publics ou privés. Le recours aux archives, stratégie du réel, permet de remettre en question les perceptions et les catégories de pensées qui forment nos appréhensions communes au monde. Pour modifier les codes visuels, déhiérarchiser les points de vue vers lesquels notre inconscient culturel tend à nous amener, je concentre l’attention autre part et accorde de l’importance aux éléments négligés. L’utilisation des nouveaux médias, telles que la photographie et la manipulation numérique, réactualise les techniques anciennes que j’emploie, et renvoie à la prolifération de l’image de notre société moderne, médiatisation qui participe à la conception de critères de normalité.

Les références photographiques exploitant certains défauts tels que les décadrages, les flous, les surexpositions, les distorsions, où le hasard peut faire surgir un signifiant inattendu, une erreur, un objet non identifiable et qui sont en marge des clichés normalement recherchés, bouleversent la réception et altèrent la représentation du réel. Le temps requis pour reproduire avec une exactitude quasi obsessionnelle des photos «ratées», présentant des situations ou des objets insolites à représenter, rend le geste paradoxal. Il oblige une prise de conscience et une interrogation philosophique du temps. Telle une commémoration de l’ordinaire, il modifie la façon de percevoir la banalité inhérente à la condition humaine. Ces sujets inusités, rendus par ce traitement minutieux et précis, où les moindres détails sont mis en valeur, acquièrent un nouvel intérêt dans cet espace pictural ou graphique, et cessent de raconter une situation définie. Des fragments de récits brisés, retirés de leur contexte, renferment des non-dits qui empêchent l’accessibilité totale et dévoilent un univers énigmatique, mais familier à la fois, qui s’apparente à notre incapacité à résoudre les questionnements relatifs à notre réalité. Entre présence et absence, les réflexions nostalgiques souvent reliées au passé que l’image éveille, le rendu de la matière qui tend quelquefois vers l’abstraction par l’utilisation du flou et de la superposition, évoquent la circulation du regard, le rêve et la mémoire. De là se confondent réalité et fiction et se chevauche une pluralité de temporalités qui complexifie la lecture. Ces représentations qui extraient ou transforment ce qui existe en une réplique inanimée, réfèrent d’une certaine façon à la micro-expérience de la mort d’un sujet photographié, faisant état d’un moment déjà disparu.